Comme beaucoup de villes françaises, Nemours souffre d’une dévitalisation chronique de son centre historique. La ville est bénéficiaire du programme national « Action Cœur de Ville ». Dans un tel contexte, comment peut-on opérer sans porter atteinte à la singularité du patrimoine ? Les services de l’État peuvent-ils soutenir la collectivité dans cette gageure ? L’architecte des bâtiments de France peut-il être un acteur ressource ? Quelles sont les conditions d’une stratégie d’intervention pour laquelle le patrimoine constituerait un levier pour la redynamisation du cœur de ville ?
Cet article est issu du projet de fin d’étude (formation AUE) de Yvonnick Féasson, « Nemours, le patrimoine est-il le socle opérationnel pour la revitalisation des quartiers historiques des petites et moyennes villes ? » soutenu à l’École de Chaillot en juillet 2020, sous la direction de Serge Brentrup. PFE téléchargeable dans son intégralité
Contexte et enjeux
Nemours, capitale historique du Gâtinais Français, bénéficie avec ses 13 000 habitants d’une situation géographique privilégiée au cœur de la vallée du Loing. Son patrimoine urbain et paysager contribue à la qualité du cadre de vie et à assurer la cohésion sociale de ses habitants.
Le plan local d’urbanisme (PLU) identifie quelques bâtiments pour leur intérêt patrimonial. Les abords de monuments historiques génèrent des champs de visibilité réduits dans cet environnement urbain dense. Les outils ainsi conjugués, ne peuvent être garants d’une valorisation du patrimoine porteuse pour l’amélioration de l’habitat. Le cœur de ville nemourien est irrigué par un trafic important et constitue une véritable centralité commerciale et urbaine. Malgré ces potentiels indéniables, ce centre historique souffre d’une forte déqualification liée principalement à la dégradation et à la vacance de son parc de logements, à la baisse de sa dynamique commerciale, ou encore à la paupérisation de sa population.Face à ces problématiques, la ville de Nemours construit aujourd’hui une stratégie ambitieuse et volontariste de renouvellement urbain, dans le cadre du programme national d’Action Cœur de Ville.
Dans un tel contexte, comment le patrimoine peut devenir le socle opérationnel pour l’amélioration de l’habitat des quartiers historiques ?
Proposition d’une stratégie patrimoniale d’intervention
Cette proposition de stratégie porte un double objectif :
• Mettre en œuvre les outils de gestion du patrimoine les plus adaptés au contexte opérationnel.
• Faire de la valorisation patrimoniale un levier pour un accompagnement efficace de la collectivité dans la revitalisation de son cœur de ville, dans le cadre d’une concertation citoyenne renforcée.
Un projet urbain patrimonial
Le contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA)
Le contrat de PPA permet de créer un partenariat entre l’État et des acteurs locaux afin d’encourager sur un territoire donné la réalisation d’une ou plusieurs opérations d’aménagement complexes destinées à répondre aux objectifs de développement durable des territoires. Les projets peuvent concerner aussi bien le développement et la reconquête de l’offre de logements, que le déploiement d’activité économiques, d’équipements ou de commerces. C’est un contrat qui permet à chacune des parties prenantes d’acter des engagements réciproques, notamment financiers. Ce n’est pas un programme d’aménagement mais une série d’engagements contractuels facilitant la conduite et la réalisation d’une opération d’aménagement. Le PPA permet une mise en œuvre opérationnelle des documents stratégiques de planification, tels que les plans locaux d’urbanisme (PLU), les programmes locaux de l’habitat (PLH), les schémas de cohérence territoriale (SCOT).
cliquer ici pour consulter la fiche du ministère de la Cohésion des territoires
La délimitation d’un site patrimonial remarquable (SPR) mettant en œuvre un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP) est un préalable indispensable. Cette servitude au document d’urbanisme est co-construite par les services de l’État et de la collectivité. Le PVAP est le seul outil permettant d’apporter la connaissance nécessaire à la conception d’un projet urbain patrimonial. Cette étude peut permettre, pour le centre historique de Nemours, d’élaborer une stratégie de valorisation du patrimoine sur cinq thèmes :
• L’aménagement des espaces publics
• Les constructions neuves en centre historique
• La restructuration / réhabilitation des îlots denses
• La densification de certains secteurs et l’aménagement d’espaces libres à dominante végétale
• L’aménagement des berges du Loing : un projet culturel au fil de l’eau
L’articulation de ces cinq types d’interventions permet de mailler un projet patrimonial global dont le PVAP constituerait le socle règlementaire.
Chaque type d’intervention nécessite un montage opérationnel adapté.
Un montage opérationnel adapté pour l’amélioration de l’habitat dans l’ancien
Le montage opérationnel concernant les interventions de restructuration / réhabilitation des immeubles, dans les îlots denses du centre historique, consiste à privilégier une approche respectueuse de la structure urbaine portée par le parcellaire.
Pour cela, elle implique de rompre avec le montage « classique » et de dépasser les interventions au coup par coup (à l’échelle de la parcelle), nécessitant la maîtrise du foncier par la collectivité, souvent rendue difficile par le nombre important de propriétés impactées.
C’est l’implication des propriétaires par la constitution d’associations foncières urbaines autorisées (AFUA) qui peut être envisagée afin d’intervenir à l’échelle de l’îlot ou d’un ensemble immobilier élargi.
L’association foncière urbaine autorisée (AFUA)
L’AFU autorisée est un établissement public, doté de prérogatives de puissance publique. Elle est créée sur autorisation du préfet, après accord ou avis du conseil municipal ou de l’EPCI compétent en matière de PLU et après enquête publique, car elle permet de passer outre l’opposition de certains propriétaires. Elle peut percevoir des taxes syndicales (principales recettes de l’AFUA).
Pour qu’une AFU autorisée puisse être constituée, il faut notamment l’accord de tout ou partie des propriétaires. Les règles d’adhésion sont définies selon la nature des opérations concernées. Lorsque l’AFU est constituée, les propriétaires non-adhérents peuvent mettre en demeure l’AFU d’acquérir leurs biens compris dans le périmètre de cette dernière.
cliquer ici pour consulter l’extrait de la loi ALUR.
Le diagnostic patrimonial peut ainsi déterminer les regroupements parcellaires possibles, sans risque de dénaturer le patrimoine urbain ; les AFU seraient donc constituées selon ces préconisations patrimoniales.
Les AFUA constituées peuvent passer un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) avec la collectivité. Ainsi, les parties impliquées peuvent acter des engagements réciproques, notamment financiers. Le PPA permet une mise en œuvre opérationnelle du projet urbain patrimonial défini par le PVAP.
Ainsi, la constitution d’AFUA peut être un moyen d’assurer le projet piloté par la collectivité, en impliquant directement les habitants et propriétaires tout au long du processus opérationnel. Cette proposition peut également contribuer à renforcer la cohésion sociale.
Un mode de gestion du projet
Les élus et propriétaires / habitants peuvent ainsi s’engager dans une dynamique et un effort collectif. Dans ce cadre, les services de l’État peuvent être un appui au projet (en plus d’être garant de la conformité légale et juridique). Ils sont ainsi les facilitateurs de projet pour la collectivité et les habitants.
Pour de telles perspectives, plusieurs adaptations peuvent être proposées :
• appui stratégique : mettre en cohérence les périmètres des différents outils et leurs effets : ORT, SPR, OAP du PLU, OPAH-RU, ORI, PAPI-risques, AFU…
• appui financier : mettre en cohérence les outils fiscaux et les aides, les rendre compatibles et les adapter aux enjeux.
• appui programmatique : assurer la pérennité du projet dans le temps malgré les aléas (politiques, économiques, etc.)
• appui technique : organiser un guichet unique qui peut être porté par le chef de projet de l’ACV où convergeraient toutes les ADS et les consultations et conseils avec des permanences mensuelles et collectives ABF, DDT (ANAH, STAC, SHRU, ARS si nécessaire…), Caisse des Dépôt (CDC)…
Sigles / acronymes
ABF : Architecte des bâtiments de France
ACV : Action Cœur de Ville
ANAH : Agence national de l’amélioration de l’habitat
CAPEB : Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment
DDT : Direction départementale des territoires
DRIEE : Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie
MH : Monument Historique
ORT : Opération de revitalisation du territoire
PLU : Plan local d’urbanisme
PPA : Projet partenarial d’aménagement
PUP : Projet urbain partenarial
PVAP : Plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine
SPR : Site patrimonial remarquable
La valorisation des savoir-faire et le développement des filières locales
Le projet urbain patrimonial proposé, par son approche raisonnée et systémique, fait appel à des pratiques et des savoir-faire qui sont à valoriser. Dans ce sens, l’implication de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) départementale peut être utile. La CAPEB organise des formations pour les artisans sur les interventions en quartiers anciens. La valorisation et le développement des entreprises locales est un volet important du projet urbain patrimonial. Pour accompagner la collectivité dans cette démarche le Conseil de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement de la Seine-et-Marne (CAUE 77) est un acteur à privilégier. La participation des chambres consulaires peut être un appui utile.
Une chaîne de compétences pour le Département et le développement de filières courtes
Cette chaîne de compétences, instaurée dans le cadre du projet de cœur de ville de Nemours, peut, dans un second temps, développer à l’échelle du département ce processus opérationnel. Cela peut permettre la mise en place dans un projet de territoire, à l’échelle du département, de filières courtes qui consolideraient le projet patrimonial. En effet, la Seine-et-Marne bénéficie d’une agriculture solide, pouvant s’impliquer dans la production de matériaux biosourcés pour la construction, tels que le chanvre, la laine, le bois. Matériaux adaptés pour les interventions d’amélioration des performances thermiques des bâtiments anciens des centres historiques.
Enfin, les services de l’État peuvent proposer la duplication de cette stratégie d’intervention, exposée ci-avant, aux cinq autres villes du département de Seine-et-Marne bénéficiant du programme national d’Action Cœur de Ville.